Operon Nouvelle Condamnée à Souffrir

Operon Nouvelle : Condamnée à Souffrir

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« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l’ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître », lui crachai-je à la figure avec tout le dédain que ma voix pouvait charrier. Je m’étais juré de ne plus jamais mettre ma confiance en qui que ce soit. Le seul en qui j’avais mis cette confiance était aujourd’hui loin de moi par la faute de ces hypocrites… et hélas aussi par ma faute.

Je n’ai peut-être que 18 ans, mais j’en avais vu des vertes et des pas mûres. Ma méfiance envers l’homme est venue assez tôt. Avait-ce été de l’insouciance ou de l’inconscience ? J’avais déclaré ma flamme à l’un de mes professeurs d’école. Sans s’offusquer, il m’avait rembarré. C’était la première fois que j’avais essuyé un tel refus.

C’était vrai, je ne pensais pas qu’il aurait accepté, mais tout du moins, je n’avais point imaginé qu’il aurait pu me rejeter aussi catégoriquement. Têtue, je n’avais pas accepté cette défaite. C’est pourquoi j’avais repris courage pour lui écrire une lettre dans laquelle je lui expliquais ce que je ressentais sans lui demander une réponse amoureuse. La suite fut l’une des éclaircies éparses dans ma vie. Et pour cause, sans m’avoir dit non, il me répondit que je devrais attendre sans préciser de délai.

Pour ce faire, il m’avait imposé les conditions de son acceptation. L’une d’entre elles était que je me classe au niveau du trio de tête de mon établissement. Bien sûr, ce n’était pas chose facile, mais je m’efforçais de le faire et de ne pas le décevoir. Hélas, cet instant de bonheur fut de courte durée, car une vieille amie, ma migraine, fut de retour.

D’aussi loin que je me rappelle, j’avais toujours connu des maux de tête, parfois tellement violents que je me faisais hospitaliser. Cette fois-là, ce fut l’une des pires crises que j’eusse connues. J’avais dû rester clouée au lit durant plus d’une semaine, à me tordre de douleur. Inquiet, mon médecin traitant nous conseilla de me faire une IRM pour voir s’il y avait quelque chose qui clochait.

Ce fut pour moi un espoir de soulagement, car enfin, j’aurais pu savoir ce qui clochait. Mais bien avant que les résultats ne viennent, j’avais commencé à prendre des antalgiques qui diminuaient un tant soit peu cette sensation de pointe chauffée qu’on enfonçait dans mon crâne. Je pouvais ainsi retourner à l’école en attendant de les recevoir.

Lorsqu’ils étaient arrivés, ma mère ne se trouvait pas à la maison, mais elle m’avait dit de l’attendre pour prendre connaissance de ce qui était écrit. Or, ma curiosité légendaire avait vite pris le dessus. On disait souvent que c’était la curiosité qui tuait le chat. Dans mon cas, ce fut plus que vrai. À l’ouverture de l’enveloppe, le couperet tomba comme un glas.

Mon sang se glaça dans mes veines, et comme pour lutter contre ce froid, mon corps essayait de produire de la chaleur. La chair de poule que j’eus se mixa vite avec une envie pressante de déféquer. Il a suffi d’un mot pour que je me mette dans cet état. TUMEUR au cerveau. Ce terme me fit penser, par ailleurs, à une mauvaise blague, comme un jeu de mot pour dire « tu meurs ». Un fin rire amer sortit alors des tréfonds de ma gorge.

La semaine qui suivit fut la pire que je connus à ce moment de ma vie. Je n’avais plus d’appétit. Mon attention était aussi fragile que du papier de verre. Toutes mes pensées étaient focalisées sur la maladie, sur le fait que je pouvais mourir d’un instant à l’autre. Je me posais la question de continuer à viser l’excellence, car peut-être d’ici au lendemain, je pourrais ne plus être de ce monde.

Mon moral étant au plus bas, mon entourage se rongeait les ongles en me voyant. Mais nul n’avait pu me tirer les vers du nez. Que ce soit mes amis, ou dis-je mes pseudo-amis aujourd’hui, mes professeurs, personne. Le seul qui réussit à délier ma langue fut celui dont j’étais amoureuse.

C’est ainsi qu’un soir, lorsqu’il ne restait plus grand monde dans l’établissement, je me confiai à lui. Ce soir-là, je retombai encore plus amoureuse de lui. En effet, durant mon long monologue, loin de me couper ou de me faire la morale, il ne me fit que m’écouter. Quand, à la fin, j’allais éclater en larmes, il entonna la chanson « If it was my last day on earth ».

Après l’avoir écouté chantonner entre deux sanglots, il prit un mouchoir et essuya les larmes, que j’avais versées, car selon lui, cette maladie ne méritait pas que je puisse laisser la moindre larme couler pour elle. Je devais avoir l’air hideuse, avec mon visage mouillé et toute cette morve qui se déversait de mes narines.

Bizarrement, je ne vis ni dégout ni pitié sur son visage. Ses premiers mots tombèrent non pas comme des paroles pour me réconforter, mais plutôt comme une vérité absolue : « Tu ne mourras pas, Cécile ». Je tentai de le contredire, mais il resta calme avant de me répondre que cette maladie n’était pas aussi grave que je le pensais.

Il me déballa des vérités sur lui et dont je n’aurais jamais pu prendre connaissance. Il me raconta certaines de ses péripéties médicales. Entre son asthme, ses multiples allergies, les maladies foudroyantes comme le choléra, la rougeole par lesquelles il était passé. Il me dit que s’il avait réussi à survivre jusqu’à ce jour-là, je ne craindrais rien.

Je ne sus jamais si c’était sa voix qui m’avait rassuré où le ton sur lequel il m’avait parlé, mais je réussis ce soir-là à me remettre debout. Il me conseilla ensuite de tenir un journal dans lequel je marquerais mon parcours et mon combat contre la maladie, car à ses dires : « ce cahier sera ta force et une trace plus tard ». D’ailleurs, je ne me fis pas prier pour le commencer. Mon bonheur ne durant jamais longtemps, la chute vint de ce même cahier.

Ce cahier fut découvert par ma mère qui me fit subir un interrogatoire où elle me questionna sur le nom de ce professeur Paul qui avait eu l’audace d’approcher la prunelle de ses yeux. Je m’étais focalisée à détourner son attention de cela, mais le lendemain, elle appela, par, je ne sais quel moyen, mon professeur. Je ne sus, et même jusqu’à présent, le contenu de leur conversation.

Lorsque je revis Paul, rien ne changea entre nous. Il continuait de me sourire, même si parfois, je pouvais déceler que son sourire était faux. Il suffit de quelques jours pour que je comprenne pourquoi. Il était entre le marteau et l’enclume. Il ne voulait pas me dire de m’éloigner de lui, car il n’y avait rien entre nous, mais il ne souhaitait pas non plus s’attirer des ennuis et me mettre dans une situation délicate.

Le coup de grâce fut une rumeur qui se mit à circuler sur nous. Je compris plus tard que ces racontars venaient d’un professeur qui m’avait approché et que j’avais recalé. Cette rumeur voulait que nous soyons en couple. Arrivé aux oreilles de l’administration, il suffit d’un instant pour que je me retrouve à témoigner contre Paul au commissariat. Bien que j’affirmasse qu’il ne s’était rien passé entre nous, les policiers refusaient de me croire.

Ma mère, l’administration et le corps professoral n’aidaient pas non plus avec leurs invectives pour l’enfoncer. On aurait cru que ce fut lui qui avait crucifié le Christ. Ce fut la première fois où je connus l’hypocrisie humaine. Ces collègues, avec qui il semblait s’entendre à merveille, venaient l’enfoncer sans vergogne. Et lorsqu’il y eut l’interrogatoire entre l’accusateur et l’accusé, il ne dit aucun mot. Il laissa juste ses lèvres esquisser la phrase « ça va aller ». Ce fut la dernière fois que je le vis.

« À cet instant, je ne l’ai toujours pas revu. Je ne sais pas où il est. Alors non ! Monsieur. Vous n’aurez jamais le plaisir d’entendre ma bouche, vous appelez maître. Vous êtes la cause de son départ. Vous étiez là ! Vous avez témoigné contre lui. Vous avez menti ! Vous l’avez enfoncé ! Alors non ! Vous ne m’inspirez pas le respect. Tout ce que j’ai pour vous, c’est un dégout tellement immonde que Dieu, s’il existe, en serait étonné. » Lâchai-je de ma voix cassée après une si longue diatribe.

Auteur : Kokou Cedric APEATRO

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