Ahlonko Octave Bruce

Grandes Espérances

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Grandes Espérances…

 

Descriptif

L’œuvre qui se résume en un voyage dans les pensées du personnage principal, dépeint le monde dans un quart de siècle. Que ce soit à Meol (inspiré de Lomé), capitale imaginaire d’un pays ouest-africain, ou à Damlep (fusion de Damas et Alep), le monde de 2045 est celui où les questions des inégalités sociales, de la pauvreté, du travail décent, de l’éducation et la santé pour tous, des services de base, de la protection des droits humains, du développement durable, du changement climatique, de la paix ou encore de partenariats entre diverses institutions, sont résolues.

Loin d’être une utopie, cette nouvelle se veut un moyen d’expression d’un point de vue personnel sur l’avenir du monde.


 

Chapitre 1

 

Le sourire qui irradiait le visage de Ladjo, lorsqu’il émergea du Centre Hospitalier Universitaire de Meol, aurait pu faire pâlir le soleil qui brillait depuis quelques jours sur la ville.

L’astre semblait d’ailleurs en retard ce matin, mais qu’importe. Lui avait eu droit à son rayon de lumière dès les premières lueurs de l’aube ; un rayon qui avait pris la forme du magnifique visage poupin endormi qu’il s’était empressé d’aller voir, dès que la sage-femme ou l’assistante, il ne savait plus trop, lui avait dit ces mots : « Félicitations, c’est une fille ».

Il se retenait de serrer des mains, esquisser des pas de danse, partager sa joie avec les passants, crier à tous qu’il était désormais père. La mère et le nouveau centre de son existence qu’ils avaient décidé d’appeler Sika, dormaient encore, ce qui lui laissait le temps de sortir un moment et récupérer de cette nuit qui n’avait pas été si longue finalement, comme il l’avait redouté.

Car pour lui, né il y a une trentaine d’années plus tôt bien loin de la capitale, dans un canton du centre du pays comme son père et le sien avant lui, la naissance d’un enfant n’avait pas toujours été un paisible évènement. Entre le manque de suivi approprié à chaque étape de la grossesse pour la mère, l’absence palpable d’infrastructures adéquates (qui se résumaient pour la plupart à une « salle d’accouchement » meublée d’un lit et d’un lavabo offerts par un généreux cadre du milieu), et surtout la disponibilité de l’accoucheuse affectée à la dizaine de villages de sa circonscription sanitaire, le moment du travail avait toujours été appréhendé.

Fort heureusement, les choses se sont améliorées et beaucoup de choses ont changé au fil des années. Les pouvoirs publics, soutenus par leurs partenaires internationaux, ont multiplié les initiatives -et de vraies- dans le domaine de la santé et du bien-être notamment, et les accouchements étaient nettement devenus sans danger et plus sûrs, aussi bien pour les mères que pour les nourrissons. Il y avait désormais beaucoup plus d’infrastructures sanitaires, de personnels, de ressources, et aussi de nombreuses applications mobiles de santé qui permettent facilement de gérer cette importante période d’une vie. Ce dont il ne s’était pas privé depuis qu’on leur avait annoncé qu’ils attendaient un enfant.


 

Chapitre 2

 

Ladjo se dirigea vers le vaste parc situé en face du CHU. Il y trouverait là de quoi se restaurer, puis se reposerait un moment sur les bancs de pierre, afin de mieux organiser toutes les idées qui se bousculaient dans sa tête de jeune papa. Et puis, pourquoi pas procéder en même temps à l’établissement de l’acte de naissance de sa fille. En deux clics, il aurait évacué cette tâche.

C’était l’une des dernières avancées réalisées par l’administration de son pays : plus besoin d’effectuer nécessairement le déplacement à l’Etat Civil pour déclarer une naissance, sauf pour les cas majeurs comme ceux d’enfants nés à domicile, ou abandonnés et retrouvés. Il pouvait désormais tout faire en ligne sur un portail dédié, le centre de santé ou la maternité se chargeant de confirmer le reste des informations, puis sa petite perle disposerait dans quelques jours de son acte de naissance téléchargeable et imprimable aussitôt.

Dans son esprit, ce site était une sorte de vaste bâtiment virtuel (sans trop de bureaux quand même, il en avait horreur !) qui concentrait les services de l’Etat. Les ministères de la santé, de l’administration territoriale, de la sécurité ou encore celui des innovations technologiques étaient tous accessibles en un clic. Non seulement Sika aurait d’ici quelques heures sa déclaration, mais aussi son numéro d’identification unique. Encore une nouveauté que lui n’avait pas eu la chance de connaître à sa naissance. Tout le
monde disposait maintenant de cet identifiant qui simplifiait bien de choses.

Chacun était inscrit dans un registre social unique qui, de son avis, réduisait pas mal d’inégalités, même s’il avait appris avec le temps que ce mot était subjectif selon la condition dans laquelle on se trouvait. De nombreux services de base comme la protection sociale et médicale, la retraite et les aides, étaient mieux répartis. Même les récentes élections générales avaient été organisées grâce au fichier électoral unique généré par ce registre. Comme des millions de ses compatriotes, il n’avait pas eu à faire la navette dans les différents bureaux de vote de sa commune et se fatiguer les yeux sur des listes kilométriques dans l’espoir de lire son nom, tout en espérant qu’il n’y eut pas d’erreur de saisie au niveau d’une lettre, d’un chiffre ou d’un lieu de naissance.


 

Chapitre 3

 

Il repensa en souriant à la tête de certains habitants de son canton, désappointés de ne plus pouvoir disposer de plusieurs cartes d’électeurs comme cela avait toujours été le cas, avant l’arrivée de ce fichier unique. Une autre époque…

Il se sentait en effet parfois un peu effrayé par cette « nouvelle ère » où tout paraissait clairement plus facile. Quand il songeait qu’un quart de siècle plus tôt, dans les années « VinVin » comme disaient ses frères pour désigner la période des années 2020, tout était question de « faire la queue ». Il fallait par exemple se lever tôt, se mettre dans une interminable file d’attente, subir les caprices de tel ou tel employé de bureau, soudoyer ou se faire servile, pour obtenir ne serait-ce qu’un bout de papier cacheté !

En ce temps, il n’y avait que deux options possibles pour éviter ces pénibles pérégrinations : le « bras » ou le « sel ». Le premier signifiait que vous aviez quelqu’un d’influent dans votre famille, dans votre entourage ou parmi vos contacts. Il suffisait alors de le contacter, de lui expliquer ce que vous attendiez de lui, et vous n’auriez qu’à aller récupérer votre document avec les compliments du commis qui en a été chargé. Et dans ce cas précis, c’était la longueur et la lourdeur de ce bras qui était gage de respect. Pour ce qui était du « sel », il s’agissait tout simplement du bon vieux graissage de patte : un billet glissé dans le dossier et hop, le tour était joué.

Précision tout de même : plus la graisse autour de la patte était conséquente, plus vif était l’enthousiasme pour traiter la requête. Beaucoup de choses avaient changé et il croyait fermement que tout était parti de ce terrible virus qui avait absolument tout bouleversé. Il était encore au primaire et grandissait, tout insoucieux de la folie du monde environnant, quand est survenue cette curieuse maladie.

Un virus qui vous empêchait d’aller à l’école pour quelques semaines, quel écolier de son âge aurait été contre ? Il avait même bondi de joie à l’idée de prolonger les congés de Pâques qui se profilaient en ce moment. Puis cela avait duré plus longtemps que prévu, les cahiers avait pris la poussière, la cour de son école était restée désespérément vide, la grosse cloche qui sonnait la récréation était devenue orpheline des bagarres qui se tenaient autour d’elle. Les jeux avaient été interdits, les rassemblements et les fêtes traditionnelles qui étaient l’occasion pour lui de revoir ses cousins et les autres membres de la famille, suspendus. Même les lieux de culte avaient fermé ! Sa mère en avait pleuré.


 

Chapitre 4

 

Il se rappelait encore des nombreux appels à la vigilance, et les consignes qu’un tricycle surmonté d’un haut-parleur crachait invariablement chaque matin et soir, avant de s’en aller en pétaradant. Son père, toujours prompt à réagir quand il s’agissait de santé, s’était mué en gendarme et infirmier. Il sourit en baissant le regard sur ses mains qu’il avait tellement frotté avec du savon et de l’eau, comme on le leur avait mille et une fois répété. Un moment, il avait même cru qu’il les perdrait, à force.

Puis il avait été question de suivre les cours à la télévision, à la radio et sur internet. Cela lui avait fait tout drôle de s’asseoir et ouvrir ses livres devant le petit écran, et regarder cette maîtresse qu’il ne connaissait pas, lui dire les mêmes choses que son instituteur lui disait en classe. Et pour la première fois de sa vie, il avait suivi avec intérêt et assiduité les journaux télévisés. Au début, juste pour savoir si le gouvernement allait autoriser à nouveau ses jeux et activités qui lui manquaient autant, mais ensuite, pour en savoir un peu plus. Il voulait comprendre comment tout est parti, comment se guérissait ce mal qui avait quand même emporté des milliers et des milliers de personnes dans le monde et qui avait imposé le masque à tout le monde.

Il avait ainsi appris que partout sur la planète, chacun, grand comme petit, se terrait chez lui apeuré, que les avions ne volaient plus, que les gens travaillaient depuis la maison et que l’humanité toute entière était mobilisée pour trouver un remède. Il avait également appris devant l’écran, que le mot « Solidarité » était revenu à la mode. On faisait des dons aux plus vulnérables et aux plus affectés, on se préoccupait à nouveau de ceux qui étaient démunis. Il avait même entendu un soir son père dire que ce virus était en partie une bonne chose et que la pollution et bien d’autres actions créées par l’Homme avaient en partie ralenti.


 

Chapitre 5

 

Pour Ladjo, la bonne chose était surtout que cette situation a donné le ton d’une vaste réflexion qui a permis de faire bouger les choses. Aujourd’hui on a moins faim, se dit-il. L’eau potable et l’énergie à coûts abordables ne sont plus les denrées rares qu’elles avaient été. Les subventions faites sur les raccordements à l’eau potable et à l’électricité pendant cette crise n’ont plus été retirées, et tout le monde y a maintenant accès facilement. Dans les zones reculées, des bornes fontaines et des points d’électricité solaire ont été installés, et les populations, moyennant de petites contributions, peuvent se servir.

La pauvreté a reculé parce que les « messieurs d’en haut » ont décidé de promouvoir les notions de travail décent et d’équité. Les agriculteurs jadis abandonnés à leur sort, ne se plaignent plus que des caprices de la Nature. Une vaste réforme du secteur agricole a permis de prendre en compte les réalités de chaque région, et d’y apporter des solutions concrètes. Cela changeait un peu de l’époque où un monsieur en costume dans son bureau climatisé, ficelait un plan et le faisait appliquer sans jamais s’être rendu sur le terrain ou s’être sali les mains, sauf pour les photos officielles.

Aujourd’hui, pensa-t-il, ceux qui occupent les postes de décisions étaient ceux qui hier, connaissaient toute la difficulté de s’associer entre producteurs pour louer un tracteur ou une moissonneuse, ou parcouraient les contrées en échangeant avec les différents acteurs.

L’éducation et la formation de qualité sont devenus les maîtres-mots et tout est fait dès la base pour que chaque écolier ait sa chance. Aujourd’hui plus besoin d’avoir forcément le nom d’une université étrangère cossue dans son curriculum pour prétendre à un bon salaire. De bonnes formations ont été mises à la disposition de tous et ne coûtent plus les yeux de la tête.

Qui l’eut cru, la lutte contre le changement climatique était maintenant très prise au sérieux et les mesures aussi fortes que pertinentes foisonnent. Quand vingt-cinq ans plus tôt, c’était à qui polluerait le plus la nature… La pandémie était passée par là, et la quasi-totalité des plans de relance avaient tous, à part le renforcement des mécanismes de santé, fait la part belle à la lutte contre la pollution.

Meol, la capitale de son pays a d’ailleurs rejoint depuis une décennie, un ambitieux projet de promotion de villes durables, qui a radicalement changé le visage de cette agglomération qui s’étendait autrefois sans aucune perspective viable. D’ailleurs ce parc était l’un des fruits de ces bonnes résolutions. Un autre secteur avait su tirer son épingle de cette situation et devenir incontournable depuis le temps : l’informel.

Frappé de plein fouet par la crise, le secteur avait fait l’objet d’assises qui avait débouché sur une sorte de Plan Marshall qui a permis de mieux la structurer. L’économie n’en est devenue que meilleure et tous les pays qui avaient osé relever ce défi étaient tous en pleine croissance.


 

Chapitre 6

 

Bien-sûr, ce n’était pas le Pays de Cocagne, loin de là, reconnut-il. Beaucoup de choses restent encore à faire, mais c’était nettement mieux qu’en ce temps. « Quand ils le veulent, ils peuvent ! », soupira-t-il.

Cette phrase le fit penser à son ami Ezoa, parti tenter l’aventure au Moyen-Orient. C’était bien lui qui avait l’habitude de ce genre de sentences. Il avait fait partie de ceux qui s’étaient portés volontaires pour participer à la reconstruction de Damlep, ville ravagée par dix années d’une guerre civile absurde, qui aurait pu largement être évitée si les grandes puissances siégeant au conseil de sécurité de l’ONU l’avaient réellement voulu.

400 000 morts inutiles plus tard, ils s’étaient résolus à lever partiellement ce verrou que constituait le droit de véto et faire entendre raison aux différents belligérants. Résultat, le pays -et la région- retrouvait des couleurs, sous l’impulsion du vaste élan de solidarité internationale mis en musique depuis vingt ans. Les efforts pour la consolidation de la paix et de la gouvernance démocratique commençaient à récolter la promesse des fleurs.

D’ailleurs, songea-t-il, il écrirait à Ezoa pour avoir de ses nouvelles et lui annoncer la naissance de Sika. Les vibrations de son téléphone l’arrachèrent de ses pensées. C’était Aléyé sa tendre épouse qui devait être réveillée maintenant. Pendant combien de temps était-il resté là, à revivre les vingt-cinq dernières années ? Le soleil était maintenant haut dans le ciel et il n’avait même pas pu manger un morceau avant de retourner au CHU.

Néanmoins il se sentait repu. Cette nouvelle responsabilité le comblait largement. 2045 en lui apportant la naissance de son premier enfant, était le début d’une nouvelle vie, au cours de laquelle il pouvait encore s’autoriser à rêver. Pas vraiment pour lui, mais pour sa fille surtout et ceux qui suivront. Il n’y a pas grand-chose à espérer de ce qui n’a pas pu être fait, soliloqua-t-il. Mais l’on pouvait attendre tout ce qu’on veut du futur.

Ce monde, tel qu’il le vivait aujourd’hui était déjà nettement plus intéressant qu’il y a quelques décennies, mais il avait la conviction qu’il pouvait être davantage meilleur, sûr,
juste et surtout agréable pour tout le monde. C’étaient là ses grandes espérances.

 

 

Ecrit par  Ahlonko Octave A. BRUCE

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